Bonjour à tout le monde et meilleurs voeux pour cette année 2010....
Depuis la parution de l'article sur l'Aérotrain dans le journal des Aéroports de Paris, j'ai reçu un très grand nombre de questions et de témoignages diverses. Vous n'êtes pas sans savoir qu'une liaison entre Orly et CDG était à l'étude dans le cadre des projets de développement de la St de l'Aérotrain. Et bien, le chef de projet ADP de l'époque, en la personne de Monsieur Hubert Le Doledec, nous fait part de son témoignage historique.
Il présise bien toutefois "ce sont mes souvenirs jetés sur le papier, de façon probablement chronologique, mais sans relecture ni recherche particulière. Il faut souligner les inexactitudes que le temps écoulé depuis ces faits ont pu s'introduire dans ma mémoire."
Voici le mail et le texte accompagnant cet exceptionnel document de mémoire historique. Cela vaut le coup d'oeil
"Bonjour,
Après quelques temps à reprendre contact mais j'en ai profité pour mettre noir sur blanc mes souvenirs de l'époque. Je n'ai personnellement pas de documents sur le sujet mais je pense qu'il devrait être possible d'en retrouver aux archives centrales d'Orly Ouest. Il y avait en particulier un gros dossier sur l'étude totale de la liaison Orly-Roissy dont ADP avait 3 exemplaires. Pour l'anecdote, un de ces exemplaires a disparu à Raspail entre le rez de chaussée bureau du vaguemestre qui l'a déposé dans le monte-courrier à destination du septième étage, secrétariat du DG. Ce dossier de 7 à 8 cm d'épaisseur était dans une chemise à sangle et n'a pas pu tomber derrière un casier !
J'espère que mon papier ne vous ennnuyera pas trop, c'est un peu en vrac, mais j'ai essayé d'y réunir tous mes souvenirs.
Bonne réception et si je peux apporter quelques autres choses ce sera avec plaisir.
Cordialement,"
Hubert LE DOLEDEC
Quelques souvenirs de l’aérotrain.
Ligne expérimentale de Plaisirs.
Cette ligne avait été construite sur le site d’une voie de chemin de fer abandonnée par la SNCF. Elle a été utilisée pour les premiers essais de validation du projet
Petit véhicule propulsé par un moteur d’avion à hélice, la sustentation était assurée par des turbines actionnées par un moteur Renault de R8 Gordini (un seul je crois).
Le guidage était assuré par des roues à pneus s’appuyant sur le rail central. Ces roues assuraient également le freinage du véhicule.
Cette ligne a été utilisée pour établir le record de vitesse de 415 km/h avec un véhicule propulsé par un réacteur. Lors de l’établissement de ce record, la violence du passage du véhicule à déplacé des éléments en béton de la voie en T inversé, ce qui a conduit à suspendre les démonstrations effectuées avec le premier véhicule.
Dans la perspective de construire un moyen de transport non polluant – surtout sur le plan phonique – différents types de motorisations électriques ont été étudiés, en particulier par un moteur linéaire. Son principe était basé sur un stator qui aurait été la partie verticale du T inversé de la voie et un « rotor » rectiligne porté par le véhicule en fer à cheval sur le rail central.
Merlin Gérin a fait de nombreuses études sur le sujet et se heurtait sur le problème majeur de la captation à grande vitesse du courant triphasé nécessaire au fonctionnement du moteur linéaire. Des prototypes de capteurs ont été fabriqués, les expérimentations n’ont pas été très satisfaisantes.
La ligne Paris Orléans
A cette époque, le projet d’une ligne Paris Orléans avait été lancé avec la construction d’une première portion de 16 km en parallèle de la ligne SCNF de la même desserte. La gare (unique) de la voie était située à 3 km de l’extrémité sud. Lors des « vols » de démonstration, le véhicule partait vers le Nord. Propulsé par un turbo propulseur à hélice carénée, la vitesse de 330 km/h était atteinte très rapidement, l’accélération à bord était comparable à celle d’un avion au décollage, lorsque le pilote lâche les freins en bout de piste (à l’époque, les avions à hélice faisaient un point fixe au seuil de piste, lançaient les moteurs et lâchaient les freins lorsque la quasi pleine puissance était atteinte). La sensation à bord était extraordinaire, je n’ai jamais connu un déplacement dans un véhicule avec un confort aussi proche de celui du fauteuil dans un salon. Un afficheur digital placé sur la paroi avant indiquait aux passagers la vitesse en cours. Cette ligne d’Orléans qui suivait fidèlement le terrain ressemblait à un serpent de mer lorsqu’on se trouvait sur la plate forme de départ. Le sentiment qu’on pouvait avoir était qu’on allait subir un effet de décollage sur les bosse et d’écrasement dans les creux alors qu’en fait la sensation était nulle. En bout de voie, le véhicule faisait demi tour sur une plate forme de retournement et repartait en sens inverse pour passer à grande vitesse pour traverser la « gare » sur le quai de laquelle les passagers du vol suivant attendaient. On maintenait les personnes à 3 ou 4 m du bord du quai pour ne pas être renversé par le souffle.
L’accélération de cet aérotrain était telle que les conducteurs s’amusaient à attendre à l’extrémité nord de la voie, l’express Paris Orléans, fleuron de l’époque de la SNCF avec une vitesse en ligne de 150 km/h, démarraient an passage du train pour le dépasser fièrement 3 ou 4 km plus loin !
L’aérotrain « Orléans » à été construit par UTA industrie dans ses ateliers du Bourget. L’aérodynamique de la voiture était telle qu’en vitesse de croisière, il était possible d’arrêter les turbines de sustentation, la voiture « volait » et se guidait sur le rail central par l’air aspiré par ses prises d’air de l’avant.
A l’arrêt le véhicule reposait sur des patins en bois. En cas de panne totale des moteurs, le véhicule volait tant que sa vitesse lui procurait la pression nécessaire à sa sustentation puis se posait sur ces patins qui faisaient office de pièces d’usure et de freins inertes pour un arrêt total.
La ligne Paris Lyon
Au plan national, l’aérotrain se positionnait comme le concurrent direct du futur TGV sur la ligne Paris Lyon. Bien entendu les ingénieurs et les dirigeants de la SNCF étaient contre et faisaient tout pour faire triompher leur projet.
L’enjeu était national et le projet qui l’emporterait devrait avoir l’approbation du gouvernement.
Si en terrain dégagé, l’aérotrain pouvait s’installer facilement avec des capacités de franchissement de pentes nettement supérieures à celles du train, le gros handicap de l’aérotrain, en raison de sa position de concurrent de la SNCF, était la pénétration dans les agglomérations de Paris et de Lyon, pour desservir les cœurs de ville. Un recensement des voies de pénétration dans Paris avait été faite sur les sites abandonnés par la SNCF, comme la ligne aboutissant à la gare de la Bastille par exemple. Onze voies ont été mise à jour sur lesquelles la SNCF s’est empressée de faire reposer des rails afin de couper toutes les possibilités.
Dans le concept de la ligne d’Orléans, la voie repose sur des piliers espacés d’une trentaine de mètres, la Société de l’Aérotrain a obtenu la jurisprudence de n’acquérir en foncier que les pieds des poteaux, ce qui lui donnait un triple avantage sur une voie au sol :
- coûts d’acquisition réduits,
- préfabrication poussée des éléments,
- éviter les ouvrages d’art de franchissement des routes, rivières et autres obstacles au sol, la voie étant elle-même en ouvrage d’art sur sa totalité.
Dans le cadre du choix du projet par le gouvernement, l’étude économique prenait une grande part et la SNCF a obtenu que la comparaison des deux projets ne prenne pas en compte les acquisition foncières et les procédures d’expropriation alors que c’était le poste économique le plus lourd dans le projet TGV.
Voilà comment on enterre une des idées les plus géniales en matière de transport terrestre.
La ligne Orly Roissy
Le gouvernement ayant écarté l’aérotrain du projet de ligne à grande vitesse Paris Lyon a donné un os à ronger avec un projet de liaison des aéroports de Paris Orly et Paris CDG. Mais c’est bien depuis le début des essais de l’aérotrain qu’ADP s’était intéressé à ce nouveau moyen de transports puisqu’à la direction du Plan, nous étions à l’affût de tout ce qui se préparait dans le monde en matière de transports à courte et moyenne distance, pour couvrir les besoins ressentis pour la satisfaction des passagers depuis les très courtes distances, intra CDG 1, inter aérogares, Orly Sud Orly Ouest ou CDG 1 CDG 2 jusqu’à la liaison Orly Roissy.
Un projet de liaison Orly Roissy a été développé en collaboration avec la Société de l’Aérotrain, la SNCF ayant décliné toute possibilité de participation avec ADP. Il faut savoir qu’alors, la SNCF considérait ADP et surtout Air Inter comme des concurrents majeurs.
Un tracé reliant Orly à CDG par l’est parisien a été soigneusement étudié. Une gare intermédiaire à Joinville le Pont faisait partie du projet, sur un point de correspondance avec la ligne A du RER tout récent. Il fallait en effet non seulement assurer facilement la correspondance pour les passagers entre les aéroports, mais aussi pouvoir drainer les passagers locaux en provenance principalement de Paris intra muros. Avec un temps de parcours de 18 mn entre les aéroports, 22 mn dans le cas d’un arrêt à Joinville, le projet était hautement attractif. Pour réduire les temps d’accès aux aéroports, il fallait minimiser les temps d’attente, donc avoir une fréquence de trains élevée. Le projet s’est donc orienté vers des trains composés seulement de une ou deux voitures pour assurer un départ toutes les 5 mn en heure de pointe et 10 mn en heures creuses. Par défaut de moyen alternatif de propulsion, en particulier tout électrique, c’est le turbo propulseur à hélice carénée utilisée sur le véhicule « Orléans » qui a été retenu. En 1972, le projet de ligne traversait l’est Parisien dans un désert relatif, seules, 14 expropriations de pavillons étaient nécessaires ! Le tracé partait d’Orly Sud en souterrain, depuis l’espace réservé pour l’aménagement d’une gare lors de sa construction fin des années 50, puis émergeait à l’est de la plate forme pour se diriger vers le carrefour Pompadour puis empruntait ce qui est devenu l’autoroute A86 et ensuite était implanté entre les voies de l’autoroute A4 puis prenait la direction du nord, passait près du château de Champs sur Marne pour enfin pénétrer par l’est sur la plate forme de CDG dans l’axe des pistes 1 et 2. La gare de Joinville était en point de rebroussement.
ADP, était fortement impliqué dans le projet et j’étais chargé des prévisions de trafic sur cette liaison, calculées en fonction des prévisions de trafic des aéroports et de la répartition des compagnies. Vingt minutes entre deux aérogares, c’est moins que le temps qui fut nécessaire pour faire le trajet entre CDG 1 et CDG 2 jusqu’à l’arrivée de Roissy Val et on pouvait considérer que les 2 aéroports n’en faisaient qu’un. Cela aurait pu éviter de couper des compagnies en deux comme ce fut le cas lors de l’ouverture de CDG en 1974 pour Air Inter et Air France.
ADP impliqué dans l’économie du projet au point que nous nous engagions financièrement sur les prévisions de trafic, engagés à payer à la société d’exploitation pour tous les billets qui n’auraient pas été vendus en cas de trafic inférieur à la prévision !
Les variantes
Le projet avançait mais provoquait de nombreuses jalousies.
L’origine de la majorité des passagers « affaire » étant l’ouest Parisien, les pôles de développement de cette zone souhaitaient que la liaison rapide Orly-Roissy permette l’accès aux deux aéroport depuis leur secteur. Georges Pompidou, président de l’EPAD (Etablissement Public Administratif de la Défense), voulait que l’Aérotrain passe et fasse un arrêt à la Défense.
Une variante du tracé a donc été étudiée, contournant Paris par le sud, dévalant la colline de Meudon pour passer sous le pont de Sèvres et suivre la Seine jusqu’à la Défense. De la Défense, encore les bords de Seine puis traversée de Saint Denis en plein centre et filant vers le nord près de l’autoroute A1, le tracé arrive à CDG après le contournement de la plate forme par le sud pour arriver en zone centrale par l’est. Le nombre d’expropriations et de démolitions d’habitations n’est pas estimé et donc pas pris en compte dans la comparaison économique entre les deux hypothèses mais ce poste devait avoir un impact considérable sur le coût du projet.
Finalement les prévisions de trafic passagers, bien que drainant le futur grand quartier d’affaires de la région Parisienne n’étaient pas favorables à ce projet mais les politiques ne démordaient pas de leur projet.
Un mardi après-midi, mon Directeur, Jacques Block absent, mon chef de département, Philippe Eme absent, mon chef de service Pierre Dedieu absent, Gilbert Dreyfus, le Directeur Général me fait appeler dans son bureau. L’étude d’une variante de dernière minute est à faire : le tracé par l’ouest, non seulement passera par la Défense, mais devra également pénétrer dans Paris pour atteindre la place de l’Etoile (aujourd’hui place Charles de Gaulle). La dernière partie du parcours se fera depuis la Seine en traversant le bois de Boulogne puis en souterrain sous l’avenue Foch jusqu’à l’Etoile ! Le DG me demande de prendre contact avec l’équipe Bertin pour avoir les temps de parcours de cette variante et pondre un rapport comparatif des trois parcours de toute urgence. Je lui dis que je vais le faire de suite et essayer de passer les programmes de calcul le soir même à Orly en espérant avoir les résultats le lendemain. « Pas question » me réponds Gilbert Dreyfus, « il faut remettre les résultats en mains propres au Directeur de Cabinet de Georges Pompidou à son domicile, le point est à l’ordre du jour du Conseil des Ministres du lendemain ». Il me donne l’adresse et me dit de l’informer dès que ce sera fait.
J’ai obtenu un créneau prioritaire d’accès à l’ordinateur d’Orly, par chance, aucun plantage dans le programme et à 22h30 le rapport était remis au Directeur de Cabinet.
Ces multiples hypothèses n’étaient pas faites pour clarifier le débat et n’ont fait qu’entraîner l’enterrement du projet, ce qui probablement était l’objectif des détracteurs de l’aérotrain, bien soutenus par un lobbying forcené orchestré par la SNCF.
En guise de poire pour la soif, Georges Pompidou a confié l’étude pour une réalisation future de la liaison Paris – Cergy-Pontoise, la ville nouvelle de Cergy étant dans ses débuts de réalisation.
Quelques mois plus tard, la liaison par aérotrain Paris – Cergy a été abandonnée au profit d’une liaison ferroviaire SNCF !
Voilà comment on peut détruire une invention extraordinaire au profit d’une chapelle qui n’a pas su, à mon avis, profiter d’une technologie révolutionnaire. Il ne fallait pas considérer l’aérotrain comme un moyen de transport concurrent du réseau ferré et de la SNCF, il fallait au contraire que le Ministère des Transports soit un peu plus dirigiste et confie l’exploitation de ce nouveau vecteur de transport à la SNCF, en synergie avec les lignes classiques.
Hubert LE DOLEDEC
Au nom de l'ensemble de notre communauté, permettez moi, Monsieur Le Doledec de vous remercier chaleureusement de cette exceptionnelle contribution. Vous m'avez précisé dans votre message: "J'ai eu en effet la chance de "voler" sur deux des véhicules, le protype de Plaisir (le 01), puis sur le I80 à hélice carénée, mais je n'ai pas eu la chance de faire la connaissance de Daniel EMISSE.". Sachez que je ne m'engage pas enormément en vous promettant au nom d'Aérotrain.fr de provoquer cette rencontre au cours de cette année (en fonction des possibilités des uns et des autres)
Voilà, je vous souhaite bonne lecture et une bonne année 2010
Philippe RONK Instructeur ORYR-3 LFPO ADP