de Xavier » 18 Jan 2010, 04:31
Je viens de visiter ton site et je t’adresse tout d’abord toutes mes félicitations. Il vient de faire revire en moi de nombreux souvenirs empreints d’émotion. Originaire de Gif sur Yvette, j’ai eu sans doute la chance de compter parmi les toutes dernières personnes à avoir vu les différents modèles d’aérotrains de Gometz mais aussi de Chevilly en « état ». Je sortais tout juste de l’université et je m’apprêtais à écrire mon tout premier article. Il traitait précisément de l’aérotrain. Tout cela s’est passé très vite, sans prévenir. Et une passion pour ce bijou technologique allait naître.
Un soir à la maison, mon père, passionné de chemins de fer, me raconte l’aérotrain. J’étais avec un ami photographe. Au fil de la discussion, il nous confie que selon lui les engins dorment encore paisiblement dans leurs hangars de Gometz-le-Châtel. Il est 19 heures. Nous sommes en hiver et le soir est tombé. Mais la curiosité est trop grande. Mon ami et moi décidons de nous rendre sur place sur le champ pour voir ce qu’il en était réellement. Armés d’une simple lampe de poche, nous nous rendons rapidement sur le site. Il fait nuit noire désormais. L’endroit est lugubre et pourrait fort bien convenir au tournage d’une sombre série Z. Nous n’oserons pas forcer les portes ce premier soir. Mais un jour entre les tôles de l’un des hangars confirme ce que nous a confié mon père. Ils sont là. Le 01 nous fait face. Un curieux mécanisme de deux pneumatiques à l’avant de la cabine nous intrigue. Nous reviendrons demain lorsqu’il fera jour.
C’est ainsi que tout a commencé. Nous sommes revenus à plusieurs reprises et avons visité puis photographié tous les engins du site : le Tridim, le 01, le 02 et le S44. Ils étaient en parfait état et ne demandaient qu’à mordre à nouveau le rail de béton. D’une simple curiosité, notre intérêt pour l’aérotrain est rapidement devenu une véritable passion. Et nous ne pouvions en rester là. Il nous fallait visiter tous les sites. Nous avons lu, voire dévorer, la vie du rail ou toute publication ayant pu traiter du sujet. Nous sommes allés sur la plateforme de retournement de Limours puis, bien sûr, à Chevilly. Cette dernière visite fut un véritable bouleversement. Le site semblait comme avoir été abandonné subitement. Un simple coup de balais semblait pouvoir suffire pour le remettre en fonction. Les stores bleus des bureaux volaient su vent. Sous la grande dalle de béton sommeillait un impressionnant matériel, comme un amas de métal et une énorme hélice carénée. Nous allions comprendre plus tard ce à quoi elle servait autrefois. Une télécabine d’entretien des voies se laissait balloter par le vent, suspendue à son mince filin d’acier. Et bien sûr, il était là lui aussi. Son énorme nez collé à la porte du hangar. Il semblait nous attendre. Patienter jusqu’à une hypothétique et prochaine sortie pour défier la vitesse et le temps. Nous sommes montés à bord. Quelques sièges étaient éventrés, mais d’autres étaient encore intacts. Les rideaux rouges demeuraient tendus aux fenêtres et la cabine de pilotage nous ouvrait grand ses portes. Nous sommes revenus plusieurs fois à Chevilly pour poursuivre notre reportage. Malheureusement, déjà, à chacun de nos passages, nous pouvions voir de nouveaux effets de vandalisme ; vitres brisées, tags… jusqu’à l’inévitable, l’impardonnable survenu quelques années plus tard.
De mon côté, je poursuivais mon enquête et je m’aperçus rapidement que la rédaction de cet article n’allait pas être facile. J’ai commencé tout simplement en rat de bibliothèque à Beaubourg pour lire l’unique exemplaire (à l’époque) du livre de Jean Bertin « L’Aérotrain ou les difficultés de l’innovation ». Tout y était noir sur blanc : les succès, les doutes, les déceptions, les espoirs et l’incompréhension, les coups bas, les conflits d’intérêts, les beaux discours politiques… Lors de mon deuxième passage à Beaubourg, le livre avait disparu…
J’ai également contacté l’un des ingénieurs de l’aérotrain, M. Cayla, manifestement intrigué de voir un jeune homme s’intéresser à ce projet à l’époque même où le TGV Atlantique battait le record de vitesse terrestre sur rail. Le fleuron de la technologie française allait d’ailleurs contrarier la publication de notre article en France. Science et vie puis New Look avaient tous deux accepté de le publier puis, sans prévenir, le directeur artistique nous retournait texte et photos sans autre commentaire. Il aura fallu bien des appels téléphoniques pour que le rédacteur-en-chef de Science et Vie finisse par me confier que personne, en France, n’accepterait de publier l’article, par trop critique sur le rôle joué par la SNCF dans la mise à mort du projet au sein même du Conseil d’administration de la société de l’Aérotrain. Ce sera finalement un magazine allemand qui acceptera de publier notre reportage, trop heureux de glorifier son Transrapid et de porter un petit coup de canif à la SNCF en quête de développement mondial de son TGV. Un ami de l’équipe de Christophe Dechavanne me contactera plus tard, désireux de traiter du sujet dans l’émission « Combien ça coûte ». Ce sujet à une heure de grande écoute sera sans doute le coup de grâce puisque quelques mois plus tard, les deux prototypes à l’échelle, le I80 et le S44 seront détruits.
Ce sont tous ces souvenirs que ton site a réveillé en moi. Les images me reviennent avec force. Comme quoi, l’aérotrain ne sera jamais tout à fait mort.
Bravo.
Bien amicalement,
Xavier