1974, année noire pour le I80 ... Mais pendant ce temps là, que devient l'aérotrain 02 ? Git-il déjà abandonné de tous, auréolé de ses gloires passées ? Que nenni ...
En ces temps de croissance du transport aérien et de développement phénoménal de la motorisation aéronautique par turboréacteurs, les exigences de discrétion vis à vis de l'environnement immédiat et lointain des aéroports se font de plus en plus pressantes. Une première norme internationale visant à mesurer, standardiser et limiter les niveaux de bruit perçu au voisinage des aéroports a déjà été mise en place en 1969 (le "Chapitre 2"), mais ses exigences demeurent très souples afin de ne pas contrarier les intérêts technico-économiques d'un secteur en pleine expansion. On sent dès lors poindre une évolution de cette norme beaucoup plus draconienne (ce sera le "Chapitre 3", y'en a qui suivent, bravo en vigueur à compter de 1977), et les motoristes tremblent face à cette contrainte susceptible de remettre en cause la certification de leurs produits.
Les phénomènes acoustiques sont en effet alors relativement méconnus. Il semble clair qu'accélérer faiblement un grand débit d'air (solution adoptée dans les réacteurs "double flux" à compter du milieu des années 70, et architecture quasi exclusive aujourd'hui) est acoustiquement plus favorable qu'accélérer fortement un faible débit d'air (solution des réacteurs "simple flux" et double flux à faible taux de dilution, en vigueur depuis les années 60, héritée des contraintes d'encombrement des moteurs militaires). Les réacteurs simple flux équipant à cette époque la majorité des avions génèrent un puissant jet (forte vitesse d'éjection), source de la quasi totalité du bruit perçu au sol et en vol.
Mais les moyens de prédiction de ces sources de bruit de jet restent limités à l'époque, et peu de données expérimentales sont disponibles dans des conditions réellement opérationnelles ...
La certification acoustique repose en effet sur la mesure du bruit perçu selon 3 points bien définis, dont 2 situés à faible distance de l'avion lors de sa phase de transition au décollage (passage du bout de piste, à une vitesse de vol d'environ Mach 0.2/0.25). Lancer une campagne d'essais pour plusieurs types de motorisation et de solutions de traitement acoustique sur un avion est donc une procédure très onéreuse, nécessitant l'immobilisation d'un appareil, d'une piste et de nombreux décollages coûteux en carburant. Les essais en soufflerie nécessitent quant à eux une veine à la réponse acoustique connue et maîtrisée pour ne pas perturber la mesure du flux, solution complexe.
"Bon, et le 02 dans tout ça ??" On y vient, on y vient ...
En 1972, le département acoustique de la Société Nationale d'Etudes et de Construction de Moteurs d'Aviation (la SNECMA, premier terrain d'application de la créativité de Jean Bertin) décide de lancer une campagne de mesure de bruit de jet en conditions réelles sur un véhicule capable de simuler à moindre coût une vitesse d'avancement de l'ordre de Mach 0.25 (85 m/s, 306 km/h). Les yeux se tournent naturellement vers l'aérotrain, dont le prototype 02 est actuellement sous-exploité suite aux différentes campagnes et démonstrations du I80. Cet engin est en effet capable d'atteindre les 110 à 120 m/s au niveau du sol
Une campagne d'essais est alors mise en place à Gometz, sur la base de la plateforme aérotrain 02, muni d'une motorisation General Electric J85 (moteur de l'avion d'entraînement américain T-38, best seller mondialement connu pour son rapport poussée/masse élevé). Ce moteur monocorps simple flux est alors représentatif des phénomènes acoustiques mis en jeu sur les avions de ligne.
La campagne d'essais s'échelonnera de 1974 à 1976, et permettra une bonne calibration des modélisations d'alors relatives au bruit de jet. Ces modélisations seront exploitées non seulement par les organismes de recherche français (Onera), mais également par la Nasa, dont les travaux ultérieurs feront référence à cette campagne aérotrain.
Une aire de mesure acoustique est aménagée à mi-parcours de la ligne de Gometz (afin de donner au véhicule le temps d'atteindre la vitesse souhaitée dans l'essai), dans une zone dégagée permettant de minimiser les interactions avec les éléments alentour. Plusieurs micros sont disposés de manière à capter le jet direct ainsi que la directivité azimutale de ce dernier.
Les photos du lien suivant permettent de voir la nature des installations : http://lfdl2006.free.fr/Aerotrain/Aerot ... tique.html
On notera la présence de télémesures embarquées sur l'aérotrain, explication probable des antennes intégrées relevées sur le véhicule.
La configuration globale du véhicule, ainsi que ses capacités d'accélération en fonction de la poussée moteur disponible, sont résumées dans le document suivant : http://lfdl2006.free.fr/Aerotrain/Aerot ... fo_J85.pdf
L'intérêt de l'utilisation de l'aérotrain était de permettre un découplage de la vitesse d'avancement du véhicule (permettant de simuler plusieurs vitesses de décollage avion) et de la poussée moteur (source du bruit de jet).
Les études complètes réalisées sont synthétisées dans le document suivant : http://lfdl2006.free.fr/Aerotrain/Acous ... rain02.pdf
Elles ont fait l'objet de plusieurs publications scientifiques, parmi lesquelles figure la suivante : http://lfdl2006.free.fr/Aerotrain/PV1976_534.pdf (1e page uniquement, sera complétée ultérieurement)
Pour donner un ordre de grandeur, les mesures de bruit effectuées à 50m du véhicule se déplaçant à 85 m/s, réacteur au plein gaz, étaient de l'ordre de 110 PNdB, à comparer à une valeur d'environ 90 PNdB pour une motorisation actuelle (soit une pression acoustique multipliée par environ 10 ; le niveau sonore de l'aérotrain équipé de ce réacteur monoflux est comparable à celui d'un concert de rock dans les 10 premiers rangs).
A la suite de cette campagne d'essais, divers dispositifs de tuyère ont été dessinés par Snecma, afin de réduire et "diluer" ce jet source de nuisance, puis essayés sur l'aérotrain 02 jusqu'en 1978 environ, sans qu'aucun dessin concluant n'en ressorte. Les réacteurs double flux avaient pendant ce temps fait leur apparition, et s'il était toujours présent, le bruit de jet devenait alors par conception une pénalité moins présente dans les niveaux acoustiques mesurés. Il semblerait que cette date corresponde à l'arrêt définitif de toutes les activités aérotrain, même dérivées, et au début de la lente agonie du 02 ... jusqu'au jour où Thierry s'en émut ... !